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Vissi d'arte, vissi d'amore

27 janvier 2005

« Tout a été dit, mais comme personne n'écoute, on peut toujours tout recommencer »

Il y a quelques jours de cela, le 20 janvier dernier (si je ne m'abuse), France Musiques eût l'excellente idée de transmettre en direct le concert donné ce jour-là au Théâtre des Champs-Elysées.  Au programme :

 

Arthur Honegger

SYMPHONIE n°2

(pour cordes et trompette ad libitum)

 

Carl Orff

CARMINA BURANA

Désirée Rancatore (soprano)

Hans-Werner Bunz (contre ténor)

Dietrich Henschel (baryton)

 

Chœur et Maîtrise de Radio France

Orchestre National de France

Riccardo Muti (direction musicale)

 

Il est clair qu'on ne présente (hélas !) plus l'œuvre phare de Carl Orff, son « opus 1 » comme il aimait à l'appeler lui-même, allant jusqu'à renier ses œuvres passées. On ne compte plus aujourd'hui les enregistrements de cette cantate parfaitement atypique, ni même les reprises au cinéma ou à la télévision de ses passages les plus connus (« O Fortuna » en est le meilleur exemple) !

 

C'est par l'intermédiaire d'un bouquiniste de Würtzbourg que Carl Orff entra, en 1934, en possesion d'un recueil de poèmes médiévaux, intitulé Carmina Burana.

 

Publié en 1847 par le bibliothécaire de la cour de Munich Johann Andreas Schmeller, Carmina Burana est une anthologie qui se base sur un manuscrit probablement rédigé entre 1220 et 1250 en Styrie ou au Tyrol du Sud, et qui fut découvert en 1803 au couvent de Benediktbeuren.  C'est également à Schmeller que l'on doit le titre du recueil, « Carmina Burana » (littéralement, « Chants de Beuren »). Le manuscrit contient, classés par ordre thématique, plus de 200 chansons et poèmes en bas latin, en moyen haut allemand et en vieux français, ainsi qu'un certain nombre de strophes réunissant ces différentes langues. À côté de scènes religieuses ainsi que d'attaques en règles contre la décadence des moeurs et la corruption des pouvoirs publics et du clergé, figurent des textes, qui célèbrent avec verdeur et sensualité le plaisir de manger, de boire, de jouer et d'aimer.

 

Orff avoua qu'en bon Bavarois, il s'était senti si profondément touché par « le rythme entraînant et le caractère imagé de ces poèmes, et tout autant [par] la musicalité riche en voyelles et la concision unique de la langue latine » qu'il commença spontanément à mettre en musique quelques pièces. Conseillé dans le choix et l'étude des documents par l'archiviste Michael Hofmann, il ne se contenta pas d'établir rapidemment la structure du texte : « En quelques semaines, toute mon oeuvre fut "jouable", de sorte qu'au début du mois de juin, je pus me mettre en route pour aller voir mon éditeur. Je n'avais pour base de mon exécution qu'un texte tapé à la machine. La musique était tellement achevée et vivante en moi que je n'avais pas besoin du soutien d'une partition. »

 

Lors de la création, le 8 juin 1937, à l'Opéra de Francfort sous la direction de Bertil Wetzelsberger, les « Carmina Burana » (chansons profanes pour solistes et choeur avec accompagnement instrumental et tableaux), puisque tel était désormais le titre de cette œuvre, connurent un accueil triomphal et se virent rapidemment ouvrir les portes des opéras, des salles de concerts ainsi que des salles de fêtes des universités et des écoles du monde entier. Après la répétition générale, Carl Orff alla trouver son éditeur pour lui faire cet aveu, souvent cité : «Vous pouvez mettre au pilon tout ce que j'ai écrit jusqu'à présent et que vous avez malheureusement imprimé. Mes oeuvres complètes commencent avec Carmina Burana ».

 

Tout ceci fort, fort bien résumé sur les ondes de France Musiques, occulte néanmoins une certaine réalité de la musique de Carl Orff, clairement liée à la monté d'un sentiment nationaliste exacerbé dans l'Allemagne des année 1930 ! Que dire alors de cette programmation des « Carmina Burana » (à grand renfort de publicité !) en pleine célébration du soixantième anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz ? … goût douteux ? indifférence ? provocation ? pire encore : méconnaissance ? faut-il aujourd'hui encore supporter d'entendre « on ne savait pas » ?

 

Bien sûr, la portée politique des oeuvres musicales ne veut plus dire grand chose aujourd'hui, du moins en France, et l'on se contente d'écouter simplement, sans nécessairement chercher à comprendre. Autant je trouve que l'on continue de faire de mauvais procès à l'oeuvre de Wagner, autant la moindre des corrections aurait été de rappeler l'histoire trouble des engagements politiques de Carl Orff, et des motivations profondes qui animent bon nombre de ses compositions musicales.

 

Sur ce sujet (sans doute bien plus complexe), je me suis toujours dit que ce qu'Adorno pensait de Wagner, à savoir notamment qu'il s'agissait d'une musique « barbare », permettant la marche au pas, s'appliquerait beaucoup mieux à « Carmina Burana ». Cette idée de « marche au pas », Philippe Lacoue-Labarthe l'avait reprise à propos de Wagner dans une émission sur France-Culture… des propos bien peu réfléchis, la chose étant peu faisable en raison des nombreuses ruptures de rythme ainsi que des césures dans la forme musicale !

 

En l'occurrence, peut-être ne faut-il voir dans la programmation de ces « Carmina Burana » qu'une faute de goût…probablement sans arrière-pensée. Mais je persuadé qu'il est profondément navrant d'avoir fait autant de publicité tout en ayant (délibérément ? pour ne pas gâcher la fête ?) gommé certains aspects de la réalité historique... Certes, l'outrage n'est pas « de taille », et l'on connaît dans l'actualité quotidienne de plus tragiques événements ; mais ces oublis, ces petits « riens » qui passent sous silence le rapport à l'abject, nous détournent d'un indispensable travail de mémoire… un travail sans lequel trop de souffrances et de misères humaines ne deviendraient que des « détails de l'histoire » !

 

« Des détails de l'histoire »… je ne peux m'empêcher une légère digression sur l'auteur de ces terribles mots qui, remis dans leur contexte, illustrent parfaitement l'ignominie d'un langage et d'une pensée prompts à éluder les horreurs d'une idéologie des plus monstrueuses. Sur ce sujet, l'auteur en question ne semble pas vouloir renoncer à son goût méprisable de la provocation ; déclarant dans une interview au journal « Rivarol » que l'occupation allemande en France fut "moins douloureuse" que dans d'autres pays d'Europe et pas "inhumaine"… Ignoble !... Songez que l'infâme bonhomme aurait dû se trouver en Inde lorsque commencèrent à sévir les premières déferlantes du tsunami : à ce moment, bon nombre d'entre nous auraient préféré l'imaginer en Asie, plutôt qu'en nazi !

 

Retour au concert…

 

Quelle déception à l'écoute de ces « Carmina Burana », pourtant enlevés avec passion par un Riccardo Muti survolté .La faute incombe avant tout à la Maitrise de Radio France qui a fait preuve d'une platitude rarement égalée ; les voix d'enfants semblaient glacées, sans aucune légèreté juvénile. Dommage, car j'attendais le « Tempus est iocundum » avec impatience !

 

Désirée Rancatore (soprano) n'avait guère l'air plus inspirée, égrainant péniblement ses chants, note après note, sans sembler cerner le mysticisme et la beauté des textes qui lui étaient donnés de défendre .

 

Le pire (hélas !) nous vient de Dietrich Henschel (baryton),affreusement défaillant dans « Estuans interius ». Incapable de soutenir les aigus de cet air terriblement difficile, sa voix se brise littéralement sur la dernière note. Rarement ai-je entendu un chanteur en si piètre posture en 15 ans de fréquentation des scènes lyriques. Selon certains spectateurs, le désarroi transpirait des expressions de son visage… Il s'agit pourtant d'un chanteur talentueux : sans doute une erreur de distribution…


Reste l'orchestre, hissé au niveau des exigences du « maestro concertatore » Riccardo Muti : de la force, de la verve, de la retenue aussi (mystique, voire élégiaque), des phrasés bien sentis, de la respiration… rarement cette partition fut baignée d'une si belle et si intense lumière orchestrale, une véritable mise en relief !

 

Et Honegger, me direz-vous ?

 

La symphonie d'Arthur Honegger proposée lors de cette soirée du TCE ne bénéficie manifestement pas du même pouvoir d'attraction que « Carmina Burana » (moins flamboyante ? moins « tape-à-l'oreille » ???)… Pourtant, la Symphonie n°2 pour cordes et trompette ad libitum est œuvre magistrale et impressionnante de tension : une merveille d'architecture musicale. C'est Charles Munch qui eut le privilège de la diriger pour la première fois à Paris le 25 juin 1942. Tragique, sombre et bouleversante, cette symphonie en trois mouvements, écrite pendant l'occupation allemande, exprime toute la souffrance de la condition humaine soumise au joug allemand jusqu'au choral du très bref troisième mouvement où dans le tumulte polyphonique des cordes, la trompette résonne… une lumière d'espérance… de libération ?

 

L'œuvre, évidemment, exige beaucoup des archets de l'orchestre. Avec une direction sans faille, claire, pure, poignante de profondeur et d'humanité, Riccardo Muti a su tirer le maximum des cordes dans une expressivité confondante de beauté et d'élégance faisant ressortir ce mélange de souffrance, d'angoisse et de lumière qui anime les trois mouvements.

 

Bref, un point d'orgue mineur quand on songe à l'ignorance répandue de l'auditeur moyen… car nul n'est plus soucieux de comprendre ce qu'il entend, il consomme le son comme on consomme désormais l'image. Le plus curieux, pourtant, saura comprendre la portée de l'œuvre d'Honegger : pas seulement une excuse en réponse à une faute de goût (Orff !!!), mais sentir vibrer en soi les sentiments les plus humains, les plus bouleversants et les plus désespérément compatissants.

 

Pour conclure…

 

L'art n'est seulement le fait des belles choses… il recèle beaucoup plus que cela en lui-même, et la musique n'échappe pas à cette règle. Peu importe si l'hédoniste y trouve son compte ou non, pourvu qu'à l'écrin on apporte de la substance, de la matière ! Il suffit juste d'ouvrir les yeux, de tendre l'oreille… en vain ?

 

« Tout a été dit, mais comme personne n'écoute, on peut toujours tout recommencer » (paraphrase sur André Gide)

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9 janvier 2005

« La vraie pudeur, c’est de montrer son cul pour mieux cacher son cœur ».

Bientôt 30 ans, et l'idée de faire un bilan de ma vie me trotte déjà dans la tête.

 

Pourtant je ne suis pas convaincu d'être le plus à même de parler de ma personne... d'autres le feraient sans doute mieux que moi, c'est certain. J'ai menti si souvent !

 

Mais à quoi bon, si ce n'est pas pour y trouver mes humeurs, mes joies et mes défaillances quotidiennes… une sorte de « jour-le-jour », plus qu'un journal ou un billet d'humeur.

 

Alors, très égoïstement, JE prends la plume… je n'ai envie de penser qu'à moi. J'ai trop dépendu des autres, du regard des gens… certes, l'ironie veut que ce soit à eux, qu'ici et en dépit de tout, je m'adresse : une exhibition en demie teinte, impudique et anonyme… ou presque.

 

Qu'on juge ma prose m'importe peu… ma personne encore moins ! Lire ce blog n'est qu'une manière de partager une tranche de vie ; j'ai le vain espoir que ceux qui la goûteront auront peut-être envie de s'asseoir de nouveau à la table, et de partager avec moi les quelques mets aigres-doux qui émaillent également leurs existence…

 

« La vraie pudeur, c'est de montrer son cul pour mieux cacher son cœur ». [?]

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